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doit aboutir. La religion seule nous préserve d’une grande faute, mais elle n’empêche pas les peines que l’individu qui se sent femme éprouve quand la tentation s’approche de lui comme d’une vraie femme, et quand il est comme celle-ci forcé de l’éprouver et de la traverser. Quand un homme de haute considération, qui jouit dans le public d’une rare confiance, est obligé de lutter contre une vulve imaginaire ; quand on rentre après un dur travail et qu’on est forcé d’examiner la toilette de la première dame venue, de la critiquer avec des yeux de femme, de lire dans sa figure ses pensées, quand un journal de mode – (je les aimais déjà étant enfant) – nous intéresse autant qu’un ouvrage scientifique ! Quand on est obligé de cacher son état à sa femme dont on devine les pensées, parce qu’on est aussi femme, tandis qu’elle a nettement deviné qu’on s’est transformé d’âme et de corps ! Et les tourments que nous causent les combats que nous avons à soutenir pour surmonter la mollesse féminine ! On réussit quelquefois, surtout quand on est en congé seul, à vivre quelque temps en femme, par exemple à porter, notamment la nuit, des vêtements de femme, de garder ses gants, de prendre un voile ou un masque pendant qu’on est dans sa chambre ; on réussit alors à avoir un peu de tranquillité du côté du libido, mais le caractère féminin qui s’est implanté exige impétueusement qu’il soit reconnu. Souvent il se contente d’une modeste concession, telle que, par exemple, un bracelet mis au-dessous de la manchette, mais il exige inexorablement une concession quelconque.

Le seul bonheur est de pouvoir sans honte se voir costumé en femme, avec la figure couverte d’un voile ou d’un masque : ce n’est qu’alors qu’on se croit dans son état naturel. On a alors, comme une « oie éprise de la mode », du goût pour ce qui est en vogue, tellement on est transformé. Il faut beaucoup de temps et beaucoup d’efforts pour s’habituer à l’idée, d’un côté, de ne sentir que comme une femme, et de l’autre de garder comme une réminiscence de ses anciennes manières de voir, afin de pouvoir se montrer comme homme devant le monde.

Pourtant il arrive par-ci par-là qu’un sentiment féminin vous échappe, soit qu’on dise qu’on éprouve in sexualibus[ws 1] telle ou telle chose, qu’un être qui n’est pas femme ne peut pas savoir, ou qu’on se trahisse par hasard en se montrant trop au courant des affaires de la toilette féminine. Si pareille chose arrive devant les femmes, il n’y a là aucun inconvénient ; une femme se sent toujours flattée quand on montre beaucoup d’intérêt pour ce qui la

  1. en matière sexuelle