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la comédie toute la journée. Ce n’est pas une petite affaire que de se sentir femme et pourtant d’être obligé d’agir en homme. J’ai dû tout étudier de nouveau, les lancettes, les bistouris, les appareils. Car depuis trois ans je ne touche plus à ces objets de la même façon qu’auparavant ; mes sensations musculaires ayant changé, j’ai dû tout apprendre de nouveau. Cela m’a réussi ; seul le maniement de la scie et du ciseau à os me donne encore des difficultés ; c’est presque comme si ma force physique n’y suffisait plus. Par contre, j’ai plus d’adresse au travail de la curette dans les parties molles ; ce qui me répugne, c’est qu’en examinant des dames, j’ai souvent les mêmes sensations qu’elles, ce qui d’ailleurs ne leur semble pas étrange. Le plus désagréable pour moi, c’est quand je ressens avec une femme grosse les sensations causées par les mouvements de l’enfant. Pendant quelque temps, et parfois durant des mois, je suis tourmenté par les liseurs de pensées des deux sexes ; du côté des femmes je supporte encore qu’on cherche à scruter mes pensées, mais de la part des hommes cela me répugne absolument. Il y a trois ans je ne me rendais pas encore clairement compte que je regarde le monde avec des yeux de femme ; cette métamorphose d’impression optique m’est venue subitement sous forme d’un violent mal de tête. J’étais chez une dame atteinte d’inversion sexuelle ; alors je la vis tout d’un coup toute changée, comme je m’en rends compte maintenant, c’est-à-dire que je la voyais en homme et par contre, moi en femme, de sorte que je la quittai avec une excitation mal dissimulée. Cette dame n’avait pas encore une conscience nette de son état.

Depuis, tous mes sens ont des perceptions féminines, de même que leurs rapports. Après le système cérébral ce fut presque immédiatement le système végétatif, de sorte que tous mes malaises se manifestent sous une forme féminine. La sensibilité des nerfs, surtout celle des nerfs auditif, optique et trijumeau, s’est accrue jusqu’à la névrose. Quand une fenêtre se ferme avec bruit, j’ai un soubresaut, un soubresaut intérieur, car pareille chose n’est pas permise à un homme. Si un mets n’est pas frais, j’ai immédiatement une odeur de cadavre dans le nez. Je n’aurais jamais cru que les douleurs causées par le trijumeau sautent avec tant de caprice d’une branche à l’autre, d’une dent dans l’œil.

Depuis ma métamorphose, je supporte avec plus de calme les maux de dents et la migraine ; j’éprouve aussi moins d’angoisse de la sténocardie. Une observation qui me semble bien curieuse,