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vie ! Je pratiquais l’onanisme assez fréquemment ; et pendant cet acte, je me figurais être un homme dédoublé ; je ne puis pas vous décrire le sentiment que j’éprouvais, je crois qu’il était viril, mais mélangé de sensations féminines.

Je ne pouvais m’approcher d’une fille ; je craignais les filles et pourtant elles ne m’étaient point étrangères ; mais elles m’en imposaient plus que les hommes ; je les enviais ; j’aurais renoncé à toutes les joies, si, après la classe, j’avais pu, rentré chez moi, être fille, et surtout si j’avais pu sortir comme telle ; la crinoline, des gants serrés : tel était mon idéal.

Chaque fois que je voyais une toilette de dame, je me figurais comment je serais si j’en étais revêtu ; je n’avais pas de désirs pour les hommes.

Je me rappelle, il est vrai, d’avoir été attaché avec assez de tendresse à un très bel ami, à figure de fille, avec des boucles noires, mais je crois n’avoir eu que le désir de nous voir filles tous les deux.

Étant étudiant à l’Université, je parvins une fois à faire le coït ; hoc modo sensi, me libentius sub puella concubuisse et penem meum cum cunno mutatum maluisse[ws 1]. La fille, à son grand étonnement, dut me traiter en fille, ce qu’elle fit volontiers ; elle me traita comme si j’avais eu à remplir son rôle. Elle était encore assez naïve et ne me ridiculisa pas pour cela.

Étant étudiant, j’étais par moments sauvage, mais je sentais bien que j’avais pris cet air sauvage pour masquer et déguiser mon vrai caractère ; je buvais, je me battais, mais je ne pouvais toujours pas fréquenter la leçon de danse, craignant de me trahir. Mes amitiés étaient intimes, mais sans arrière-pensées ; ce qui me causait la plus grande joie, c’était quand un ami se déguisait en femme, ou quand je pouvais, dans un bal, examiner les toilettes des dames ; je m’y connaissais très bien, et je commençais à me sentir de plus en plus femme.

À cause de cette situation malheureuse, je fis deux tentatives de suicide ; je suis resté une fois sans raison pendant quinze jours sans sommeil ; j’avais alors beaucoup d’hallucinations visuelles et auditives à la fois ; je parlais avec les morts et les vivants, ce qui m’arrive encore aujourd’hui.

J’avais une amie qui connaissait mes préférences ; elle mettait souvent mes gants, mais elle aussi me considérait comme si j’étais une fille. Ainsi j’arrivais à mieux comprendre les femmes qu’aucun autre homme ; mais du moment que les femmes s’en

  1. dans cet état d’esprit, je couchai volontiers avec la fille, en souhaitant que mon pénis soit changé en vulve.