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J’étais encore tout à fait ignorant in sexualibus[ws 1] ; mais à l’âge de douze à treize ans j’eus le sentiment bien prononcé que je préférais être femme. C’est leur corps qui me plaisait le plus, leur attitude tranquille, leur décence ; leurs vêtements surtout me convenaient. Mais je me gardais bien d’en laisser transpirer un mot. Je sais toutefois pertinemment qu’à cette époque, je n’aurais pas craint le couteau du châtreur pour atteindre mon but. S’il m’eût fallu dire pourquoi j’aurais préféré être habillé en femme, je n’aurais pu dire autre chose que c’était une force impulsive qui m’attirait ; peut-être en étais-je venu, à cause de la douceur peu fréquente de ma peau, à me figurer que j’étais une fille. Ma peau était surtout très sensible à la figure et aux mains.

J’étais très bien vu chez les filles ; bien que j’eusse préféré être toujours avec elles, je les raillais quand je pouvais ; j’ai dû exagérer pour ne pas paraître efféminé moi-même ; mais au fond de mon cœur, j’enviais leur sort. Mon envie était grande surtout quand une amie portait une robe longue, et allait gantée et voilée. À l’âge de quinze ans, je fis un voyage ; une jeune dame chez laquelle j’étais logé me proposa de me déguiser en femme et de sortir avec elle ; comme elle n’était pas seule, je n’acceptai pas sa proposition, bien que j’en eusse grande envie.

Voilà combien peu de cas on faisait de moi. Dans ce voyage je vis avec plaisir que les garçons d’une ville portaient des blouses à manches courtes qui laissaient voir leurs bras nus. Une dame bien attifée me semblait une déesse ; si de sa main gantée elle me touchait, j’étais heureux et jaloux à la fois, tant j’aurais aimé être à sa place, revêtu de sa belle toilette. Pourtant je faisais mes études avec beaucoup d’application : en neuf ans, je faisais mes classes d’école royale et de Lycée, je passai un bon examen de baccalauréat. Je me rappelle, à l’âge de quinze ans, avoir exprimé pour la première fois à un ami le désir d’être fille ; comme il me demandait pour quelle raison j’avais ce désir, je ne sus lui répondre. À l’âge de dix-sept ans, je tombai dans une société de gens dissolus ; je buvais de la bière, je fumais, j’essayais de plaisanter avec des filles de brasserie ; celles-ci aimaient à causer avec moi, mais elles me traitaient comme si j’avais porté aussi des jupons. Je ne pouvais pas fréquenter le cours de danse ; aussitôt entré dans la salle, j’avais une impulsion qui m’en faisait partir. Ah ! si j’avais pu y aller déguisé, c’eût été autre chose ! J’aimais tendrement mes amis, mais j’en haïssais un qui m’avait poussé à l’onanisme. Jour de malheur, qui m’a porté préjudice toute ma

  1. en matière sexuelle