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mère qui était tout pour moi. J’avais deux ou trois amis avec lesquels j’étais assez bien, mais j’aimais autant rester avec les sœurs de ces amis qui me traitaient toujours en fille, ce qui ne me gênait nullement.

J’étais en très bonne voie pour devenir tout à fait une fille, car je me rappelle encore très bien que souvent on me disait : « Cela ne convient pas à un garçon ». Sur ce, je m’efforçais de faire le garçon, j’imitais tous mes camarades et je cherchais même à les surpasser en impétuosité, ce qui me réussissait ; il n’y avait pour moi ni arbre, ni bâtiment assez haut pour ne pas grimper dessus. J’aimais beaucoup à jouer avec des soldats en plomb, j’évitais les filles, puisque je ne devais pas jouer avec leurs joujoux et parce que, au fond, j’étais froissé de ce qu’elles me traitaient comme leur semblable.

Dans la compagnie des gens adultes je restais toujours modeste et j’étais bien vu. Souvent j’étais dans la nuit tourmenté par des rêves fantastiques de bêtes féroces, rêves qui me chassèrent une fois de mon lit sans que je me réveille. On m’habillait toujours simplement, mais très coquettement, et ainsi j’ai pris goût à être bien mis. Ce qui me paraît curieux, c’est que, même avant d’entrer à l’école, j’avais un penchant pour les gants de femme, et en secret j’en mettais toutes les fois que l’occasion se présentait. Aussi je protestai vivement un jour, parce que ma mère avait fait cadeau de ses gants à quelqu’un ; je lui dis : « J’aurais préféré les garder pour moi-même. » On me railla beaucoup, et à partir de ce moment je me gardai bien soigneusement de faire voir ma prédilection pour les gants de femme.

Et pourtant ils faisaient ma joie. J’avais surtout un grand plaisir en voyant des toilettes de mascarade, c’est-à-dire des masques féminins ; quand j’en voyais, j’enviais la porteuse de ce déguisement ; je fus ravi de voir un jour deux messieurs superbement déguisés en dames blanches avec de très beaux masques de femmes ; et pourtant, pour rien au monde, je ne me serais montré déguisé en fille, tant était grande ma crainte d’être tourné en ridicule. À l’école, je faisais preuve de la plus grande application, j’étais toujours au premier rang ; mes parents m’ont, dès mon enfance, appris que le devoir passe avant tout, et ils m’en ont donné l’exemple ; du reste aller en classe m’était un plaisir, car les instituteurs étaient doux et les plus grands élèves ne tourmentaient pas les petits. Un jour nous quittâmes ma première patrie, car mon père, à cause de ses occupations, fut obligé de se