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Permettez-moi de vous raconter encore un épisode qui m’a préoccupé pendant des mois entiers.

L’été 1882 je fis la connaissance d’un collègue de l’Université, de six ans plus jeune que moi, et qui m’avait été recommandé par plusieurs jeunes gens, à moi et à d’autres personnes de ma connaissance. Bientôt j’éprouvai un intérêt profond pour ce jeune homme qui était très beau, de formes bien proportionnées, de taille svelte et d’aspect bien portant. Après des relations de quelques semaines avec lui, cet intérêt devint un sentiment d’amitié intense et plus tard un amour passionné entremêlé des tourments de la jalousie. Je m’aperçus bientôt que des mouvements sensuels se confondaient avec cette affection. Malgré ma ferme résolution de me contenir vis-à-vis de ce jeune homme que j’estimais à cause de son excellent caractère, pourtant une nuit, après force libations de bière, nous étions dans ma chambre où nous vidions une bouteille de vin en l’honneur de notre amitié sincère et durable ; je succombai à l’envie irrésistible de le presser contre moi, etc., etc.

Le lendemain lorsque je le revis, j’avais tellement honte que je n’osais pas le regarder dans les yeux. J’éprouvais le repentir le plus amer de ma faute et me faisais les plus violents reproches d’avoir ainsi souillé cette amitié qui aurait dû rester pure et noble. Pour lui prouver que je n’avais agi que sous le coup d’une impulsion momentanée, j’insistai auprès de lui pour qu’il fît avec moi un voyage à la fin du semestre. Il y consentit, après quelques hésitations dont les raisons étaient assez claires pour moi. Nous avons alors couché plusieurs nuits dans la même chambre, sans que j’aie jamais fait la moindre tentative pour répéter l’acte de la nuit mémorable. Je voulais lui parler de cet incident, mais je n’en avais pas le courage. Lorsque, le semestre suivant, nous fûmes séparés l’un de l’autre, je ne pus me décider à lui écrire sur cette affaire, et quand, au mois de mars, je lui fis une visite à X…, j’eus la même faiblesse. Et pourtant, j’éprouvais le besoin impérieux de lui expliquer ce point obscur, par un entretien franc et loyal. Au mois d’octobre de la même année, j’étais à X…, et ce n’est qu’alors que je trouvai le courage nécessaire pour une explication sans réserves. J’implorai son pardon, qu’il m’accorda volontiers ; je lui demandai même pourquoi il ne m’avait pas alors opposé une résistance résolue ; il me répondit qu’il m’avait en partie laissé faire par complaisance, que d’autre part, étant ivre, il se trouvait dans un certain état d’apathie. Je lui exposai