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être cherchée dans un phénomène très répandu qui rentre déjà dans le domaine d’un état d’âme insolite et anormal, mais pas encore dans celui d’un état perverti.

J’entends ici ce fait fréquent qu’on observe dans des cas très nombreux et sous les formes les plus variées, qu’un individu tombe d’une façon étonnante et insolite sous la dépendance d’un individu de l’autre sexe, jusqu’à perdre toute volonté, dépendance qui force l’assujetti à commettre et à tolérer des actes compromettant souvent gravement ses propres intérêts, contraires et aux lois et aux mœurs.

Dans les phénomènes de la vie normale, cette dépendance varie selon l’intensité du penchant sexuel qui est ici en jeu et le peu de force de volonté qui devrait contrebalancer l’instinct. Il n’y a donc qu’une différence quantitative, mais non pas qualitative, comme c’est le cas dans les phénomènes du masochisme.

J’ai désigné sous le nom de servitude sexuelle ce fait de dépendance anormale, mais non encore perverse, d’un homme vis-à-vis d’un individu de l’autre sexe, fait qui offre un grand intérêt, surtout au point de vue médico-légal. Je l’ai nommé ainsi parce que les conditions qui en résultent sont empreintes d’une marque de servitude[1]. La volonté du sujet dominateur commande à celle du sujet asservi, comme la volonté du maître à celle du serviteur[2].

L’expression de servitude ne doit pas être confondue non plus avec la sujétion de la femme de J. St. Mill[3]

Cette servitude sexuelle est, comme nous le disions, un phénomène anormal, même au point de vue psychique.

  1. Comparer l’essai de l’auteur « Sur la servitude sexuelle et le masochisme » dans Psychiatrische Jahrbücher, t. X, p. 169, où ce sujet a été traité à fond, surtout au point de vue médico-légal.
  2. Bien qu’on les emploie au figuré pour de pareilles situations, j’ai cru devoir éviter ici les expressions esclave et esclavage, parce que ce sont des termes qu’on emploie de préférence pour le masochisme dont il faut bien distinguer la « servitude ».
  3. Mill désigne par cette expression des mœurs et des lois, des phénomènes historiques et sociaux. Mais ici nous ne parlons que de faits nés de mobiles individuels particuliers et qui sont en contradiction avec les lois et les mœurs en usage. En outre, il est question des deux sexes.