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que vous me pardonnez. Je ne ferais cet aveu à personne d’autre, mais je sais que vous êtes Anglais et un véritable gentleman.

En entendant ces paroles pleines de sang-froid et de dignité, je parvins enfin à me maîtriser et trouver la force de lui répondre tranquillement, en lui serrant la main :

— Croyez, mon bien cher Maître, que nulle félicité terrestre ne pourrait remplacer les belles heures que j’ai vécues sous votre sage direction. Laissez-moi seulement vous demander pourquoi vous ne songez pas à votre salut ?

Je le vois encore adossé au coffre de la boussole de réserve, tandis que le vent tiraillait ses vêtements et houspillait sa barbe blanche, fantômale sur le fond rouge de l’éruption volcanique. À cet instant, je m’aperçus que notre navire était presque couché sur le bord et que des rafales glacées, surgissant impétueusement de l’ouest, avaient chassé les asphyxiantes bouffées chaudes.

— Eh ! repartit indolemment lord Chalsbury dont la main esquissa un geste fatigué. Je n’ai rien à perdre. Je suis seul au monde. Vous êtes l’unique être auquel je sois attaché et je vous expose à un danger mortel, auquel vous avez juste une chance sur un million d’échapper. Je suis riche, il est vrai, mais je ne sais que faire de ma fortune, à moins — et une mélancolique ironie fit trembler sa voix — à moins de la répartir entre les indigents du comté de Norfolk et d’aider ainsi à la multiplication d’une bande de fainéants et de mendiants. Je suis savant, mais ma science vient, comme vous le voyez, de subir un lamentable échec. Je suis énergique, mais je ne saurais plus maintenant trouver de champ à mon énergie. Non, mon cher ami, je ne me suicide pas ; si je dois cette nuit échapper à la mort,