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prendre livraison de caisses arrivées de Londres. Mes relations avec mister de Monts de Riques deviennent froides et presque hostiles.

Février. — Nous avons enfermé aujourd’hui nos tuyaux dans des gaines contenant des réfrigérants. Le mélange d’eau et de sel donne — 21°, celui d’éther et d’acide carbonique solidifié — 80°, la vapeur d’acide carbonique — 130°. Quant à la pression atmosphérique, nous pouvons, je crois, la développer à l’infini.

Avril. — Mon assistant commence sérieusement à m’intéresser. C’est un Slave, Russe ou Polonais, je ne sais, mais en tout cas anarchiste. Il ne manque pas d’instruction, connaît bien l’anglais, mais préfère, il me semble, ne parler aucune langue et se taire. Grand, maigre, légèrement voûté, il porte les cheveux longs et tombant droit sur le visage, ce qui donne à son front la forme d’un trapèze rétréci du sommet ; son nez retroussé a d’énormes narines velues, béantes, mais extrêmement nerveuses. Une audace folle brille dans ses yeux gris clair. Il écoute et comprend toutes nos conversations sur le bonheur des générations futures et sourit souvent d’un sourire condescendant qui me rappelle la grimace d’un vieux bouledogue surveillant les ébats de toy-terriers. Mais, j’en ai la conviction, son adoration pour le Maître est infinie. Mon collègue de Monts de Riques agit tout autrement. Il affiche souvent pour l’idée du soleil liquide un enthousiasme si artificiel que je rougis de honte et le soupçonne fort de se moquer du patron. Mais l’homme ne l’intéresse pas ; et, en présence de lady Chalsbury, il oublie par trop le respect dû au mari et à l’hôte, agissant en cela contre tout bon sens et toute prudence, sous l’empire d’une volonté altérée et peut-être même de la jalousie.