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— Oui, je vous l’avoue en toute sincérité. Je redoute le bruit, la réclame, l’invasion des interviewers. Je crains qu’un de ces critiques scientifiques, ignorants mais influents, qui se rendent célèbres en dénigrant systématiquement les idées nouvelles et les entreprises audacieuses, ne dénature mon idée aux yeux du public, ne la lui représente comme une lubie d’inventeur, comme un délire de maniaque. Je crains surtout que quelque envieux et famélique raté ne s’approprie ma théorie, en prétextant, comme on en connaît mille exemples, une coïncidence fortuite de découvertes, je crains qu’il n’avilisse, ne ravale et ne salisse ce que j’ai enfanté dans la douleur et l’enthousiasme. Vous me comprenez, mister Dibbl ?

— Parfaitement, milord.

— Si cela arrive, mon œuvre et moi nous périrons. D’ailleurs mon pauvre « moi » pèse peu en comparaison de l’idée. Je suis sûr que le premier soir où dans l’une des immenses salles de conférences de Londres, je ferai éteindre l’électricité et éblouirai dix mille auditeurs choisis, en déversant sur eux des flots de lumière solaire dont l’éclat fera ouvrir les fleurs et chanter les oiseaux, ce soir-là je recueillerai sans peine un milliard pour mener à bien mes recherches. Mais, comme je vous l’ai dit, un hasard, une bagatelle, une erreur insignifiante peuvent être fatales à la plus belle et à la plus désintéressée des œuvres. C’est pourquoi je vous demande votre avis : dois-je me confier à mister de Monts de Riques ou le laisser dans l’ignorance de mes projets ? C’est un dilemme dont je ne puis sortir sans être conseillé. D’une part, j’ai à redouter un scandale et le krach de mon entreprise ; mais, d’autre part, ma méfiance est le plus sûr moyen de