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dans aucune société. Et cependant une étrange hésitation me retient. Mon cher Monsieur Dibbl, dites-moi franchement ce que vous pensez du personnage.

Cette question imprévue me décontenança : à franchement parler, j’étais loin de m’y attendre.

— Je ne sais que vous dire, milord. Je le connais probablement moins que vous et mister Nidston. Je l’ai vu pour la première fois à bord de La Croix du Sud et n’ai eu pendant notre voyage que fort peu de rapports avec lui. Je dois vous dire que j’ai été malade pendant presque toute la traversée. Cependant nos courtes rencontres et conversations m’ont laissé à peu près la même impression qu’à vous, milord : ingéniosité, énergie, éloquence, grande érudition… et, avec tout cela, — mélange bizarre et sans doute très rare, — cœur sec et tête chaude.

— Parfait, mister Dibbl, parfait. — Respectable Sambo, apportez-nous une seconde bouteille de vin et vous pourrez vous retirer. — Je n’attendais guère de vous une autre caractéristique. Mais cela ne lève point mes scrupules… Dois-je ou non lui révéler les secrets dont vous avez été aujourd’hui le témoin et le confident ? Supposez qu’au bout d’un an ou deux — ou même plus tôt — ce dandy, ce bellâtre, cet ami des femmes, ne puisse plus tenir sur ce volcan désert. Je doute que, dans ce cas, il vienne me demander l’autorisation de partir : un beau matin, il fera ses paquets et déguerpira sans tambour ni trompette. Je serai privé d’un collaborateur précieux et, chose plus grave, je ne suis pas sûr qu’une fois de retour sur l’Ancien Continent, il ne se laisse aller à bavarder.

— Craignez-vous donc les bavardages, milord ?