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à machines bas et enfumés, une masse de fils aériens, des wagonnets tirés sur une voie étroite par des mules alertes et vigoureuses, des grues à vapeur balançant rythmiquement en l’air des bennes de fer remplies de charbon et de schiste. Ici et là se démenaient des ouvriers, demi-nus pour la plupart, bien que le thermomètre fixé au châssis extérieur de ma fenêtre marquât — 5° et presque tous de couleur différente : blanc, jaune, bronze, café et noir d’ébène.

— Vraiment, me dis-je, il a fallu être doué d’une puissante volonté et posséder une fortune colossale pour pouvoir transformer le sommet infertile d’un volcan éteint en un centre de civilisation avec atelier et laboratoire, hisser à l’altitude des neiges éternelles des pierres, des arbres et du fer, amener de l’eau, construire des maisons et des machines, installer de précieux instruments de physique, parmi lesquels les deux lentilles que j’apporte coûtent à elles seules un million trois cent mille francs, engager des dizaines d’ouvriers, faire appel à des collaborateurs généreusement rémunérés…

De nouveau la figure de lord Chalsbury se dessina avec un relief intense dans mon imagination et soudain : stop — une lumière subite illumina ma mémoire. Je me rappelai fort exactement qu’une quinzaine d’années auparavant, peu après mon entrée au collège, tous les journaux avaient, durant un mois entier, corné sur tous les tons la disparition extraordinaire, mystérieuse de lord Chalsbury, pair d’Angleterre, dernier représentant d’une très ancienne famille, savant célèbre et richissime millionnaire. Toutes les feuilles imprimèrent son portrait et commentèrent les motifs de cet étrange événement. Selon les uns, lord Chalsbury avait été assassiné ; selon les autres, quelque