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tâchèrent de me tirer les vers du nez et de connaître les détails et le but de mon voyage, les adresses des maisons avec lesquelles nous étions en relations, le caractère et la destination de nos commandes dans d’autres fabriques, etc.

Mais j’avais été très sérieusement averti par mister Nidston des dangers du bavardage, et d’ailleurs qu’aurais-je pu révéler, en admettant que je consentisse à parler ? Je ne savais absolument rien et errais à tâtons comme dans une forêt inconnue, la nuit. Je prenais livraison, en les confrontant aux plans et graphiques qui m’avaient été remis, des engins les plus hétéroclites : étranges lentilles, tubes et canules métalliques, verniers, vis microscopiques, pistons en miniature, obturateurs, lourdes cornues de forme bizarre, manomètres, presses hydrauliques, une multitude d’appareils électriques inconnus de moi jusqu’alors, quelques loupes très puissantes, trois chronomètres et deux scaphandres. Une seule chose me paraissait de plus en plus évidente : l’entreprise à laquelle je prêtais mon aveugle concours n’avait rien de commun avec l’installation d’un observatoire, et la vue des objets qu’on me livrait n’autorisait même aucune conjecture sur l’usage auquel ils étaient destinés. Je ne pouvais que soigner avec une attention croissante leur emballage et inventais sans cesse d’ingénieux procédés pour les garantir de tout choc, bris ou bosselure.

Je me délivrais des questions indiscrètes en me taisant subitement, et en projetant, sans émettre un son, de pétrifiants regards sur la racine du nez de l’importun. Une fois cependant je dus involontairement avoir recours à un genre d’éloquence fort convaincant : un gros Prussien, plein de morgue et d’aplomb, eut l’audace de m’offrir deux cent mille marks