Page:Kouprine - Le Bracelet de grenats, 1922.djvu/241

Cette page n’a pas encore été corrigée

travaillerais le soir à la lumière de cet invisible fluide : l’électricité, où je m’entretiendrais avec mes amis à quatre-vingts milles de distance, où je verrais sur un écran, se mouvoir, rire et grimacer des figures humaines, où l’on télégraphierait sans fil, etc., j’aurais sans hésiter parié mon honneur, ma liberté et ma carrière contre une pinte de mauvaise bière, que j’avais affaire à un illuminé.

— Dois-je en conclure qu’il s’agit de quelque nouvelle invention ou découverte prodigieuse ?

— Oui, si vous le voulez. Ne me jetez donc pas ces regards méfiants et soupçonneux. Que diriez-vous par exemple, si votre jeune énergie, vos forces et votre savoir étaient mis à contribution par un grand savant, qui étudie — disons… le problème de transformer les éléments constitutifs de l’air en une matière nutritive, agréable au goût et d’un prix de revient presque nul ? Si l’on vous demandait de travailler à la réorganisation et l’embellissement du monde ? De consacrer votre puissance créatrice et votre vigueur intellectuelle au bonheur des générations futures ? Que diriez-vous ? Tenez, voici un exemple vivant. Regardez par la fenêtre.

Obéissant involontairement à son geste brusque et impérieux, je me levai et plongeai la vue au travers des vitres troubles. Dans la rue, un lourd brouillard étendait entre le ciel et la terre d’épaisses couches de ouate sale, d’un gris noir rouillé, dans lesquelles se délayaient les taches jaunâtres des réverbères. Il était onze heures du matin.

— Oui, oui, regardez, insista mister Nidston — regardez attentivement. Maintenant supposez qu’un philanthrope de génie vous convie à la tâche sublime d’assainir et d’embellir le monde. Il vous dira que tout sur terre dépend