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Et il appendit immédiatement au vantail extérieur de la porte la pancarte fatale : « La réception des postulants est terminée. »

Dans une salle obscure, étroite et passablement crasseuse, — comme le sont presque toutes les salles de réception des remueurs de millions de la City, — attendaient une dizaine d’individus, affalés le long du mur sur des bancs de bois graisseux, luisants et noirs de vieillesse, au-dessus desquels une large bande sale courait, à hauteur de nuque, sur les vieux papiers peints. Mon Dieu ! quel piteux ramassis de meurt-de-faim, loqueteux, claquedents et galefretiers : un véritable musée des horreurs ! À la vue de ces faces terreuses, de ces regards obliques, jaloux, soupçonneux, de ces mains tremblantes, de ces haillons sordides ; à l’odeur invétérée de pauvreté, d’alcool et de mauvais tabac, mon cœur se serra involontairement de pitié et d’amour-propre humilié. Quelques-uns de ces honorables gentlemen n’avaient pas encore atteint dix-sept ans, d’autres, au contraire, avaient depuis longtemps dépassé la cinquantaine. Les unes après les autres ces pâles ombres se glissaient dans le cabinet et en ressortaient bientôt avec l’air de noyés que l’on vient de retirer de l’eau. J’avais honte de m’avouer infiniment plus sain et plus fort que tous ces marmiteux pris ensemble.

Enfin, mon tour arriva. Quelqu’un ouvrit intérieurement la porte du cabinet et, invisible derrière elle, glapit d’une voix aigre, saccadée et dédaigneuse :

— Le numéro 18 et, grâce à Dieu, dernier !

Je pénétrai dans un cabinet, presque aussi délabré que la salle. Un meuble recouvert d’une toile cirée déchirée l’ornait : deux chaises, un divan et deux fauteuils sur lesquels étaient assis deux messieurs âgés. Tous deux paraissaient