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sœur Esther, abandonnée avec deux enfants sur le pavé de Dublin par son Irlandais de mari, acteur, ivrogne, menteur, vagabond et débauché, — et pouvais même suivre passionnément les progrès de la science et les vicissitudes de la vie publique, lire les journaux et revues scientifiques, acheter des bouquins, m’abonner à un cabinet de lecture. J’eus même à cette époque le bonheur de faire deux insignifiantes découvertes : un petit appareil avertissant automatiquement les mécaniciens de locomotives de la fermeture des sémaphores, en cas de brouillard ou de tempête de neige, et une lampe à souder à flamme hydrogénée presque inextinguible. Je ne profitai point, il est vrai, de ces inventions ; mais d’autres surent en tirer parti. Je demeurai fidèle à la science, tel un chevalier d’autrefois à sa dame, et ne cessai jamais d’attendre le moment béni où mon adorée m’accorderait son plus radieux sourire.

Ce sourire ensoleilla mon âme de la manière la plus imprévue et la plus prosaïque. Un matin brumeux d’automne, mon logeur, le brave Master Johnson, courut chercher à la boutique d’en face de l’eau bouillante pour son thé et du lait pour ses marmots. Il revint le visage radieux, fleurant le whisky à pleine bouche et brandissant un journal encore humide et puant l’encre. Il me le fourra sous le nez, en m’indiquant un passage noté d’un coup de son ongle sale :

— Regardez, old boy, s’écria-t-il. Si ces lignes ne sont pas à votre intention, je consens à ne pas savoir discerner le coke de l’anthracite !

Je lus, non sans intérêt, l’annonce suivante :