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Johnson : quand la besogne pressait aux docks d’Est-End et que la main-d’œuvre faisait défaut, il savait toujours me faire embaucher et s’arrangeait pour que l’on me confiât les corvées les moins pénibles ; je gagnais alors, comme en me jouant, mes huit à dix shillings par jour. Quel dommage que ce pieux et digne homme s’enivrât comme un païen tous les samedis et montrât ces jours-là une aptitude toute particulière à la boxe !

En plus de mes quotidiennes fonctions culinaires et de mes besognes fortuites sur le port, j’essayai bon nombre de ridicules, difficiles et originales professions. J’aidai à tondre les caniches et à couper la queue aux fox-terriers ; gardai la boutique d’un charcutier pendant son absence ; mis en ordre des bibliothèques délaissées ; tins la caisse d’un bookmaker ; donnai par échappées des leçons de mathématiques, de psychologie, d’escrime, de théologie et même de danse ; copiai d’assommants rapports et d’imbéciles romans ; surveillai les chevaux de fiacre, pendant que les cochers s’empiffraient de jambon et de bière au cabaret ; affublé d’une casaque d’écuyer je roulai les tapis et ratissai la piste d’un cirque pendant les entr’actes ; je m’exhibai comme homme-sandwich ; pris part à des matchs de boxe, catégorie des poids mi-lourds ; traduisis de l’allemand en anglais et vice-versa ; composai des inscriptions funéraires et pratiquai bien d’autres métiers encore ! À dire vrai, je ne connus pas à proprement parler la gêne. J’avais un estomac de chameau et des poings solides, pesais 150 livres anglaises, jouissais d’un sommeil régulier et d’une grande vigueur d’esprit. Je m’étais si bien adapté à la pauvreté et aux privations que je trouvais le moyen d’envoyer de temps à autre quelques subsides à ma jeune