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que me versent régulièrement chaque trimestre MM. « E. Nidston et Fils », Régent Street, 451. Cette somme représente la pension que m’a généreusement léguée mon maître et patron, un des plus grands hommes qu’ait jamais connu le monde, disparu dans l’épouvantable naufrage de la goélette mexicaine « Gonzales ».

J’ai terminé mes études à la Faculté des Sciences — section de Physique et Chimie — de l’Université Royale, en l’an mil… Soit dit en passant, voici encore un nouveau et perpétuel souvenir de mes aventures. Non seulement, à l’heure de la catastrophe, quelque chaîne ou poulie m’arracha les doigts de la main gauche, non seulement mes nerfs visuels ressentirent une douloureuse commotion, etc., etc., mais, en tombant à la mer, je reçus, j’ignore de quelle manière et à quel moment, un coup violent sur le sommet de la tempe droite. Ce coup, qui ne laissa presque aucune trace extérieure, eut sur ma mémoire une curieuse répercussion. Je me remémore fort bien et mon imagination reconstitue exactement les mots, les personnes, les lieux, les sons, et l’ordre des événements, tandis que j’ai perdu à tout jamais la notion des chiffres et des noms propres, des numéros de maisons et de téléphones et de la chronologie historique. Les mois, les années et les dates qui marquaient les étapes de ma propre vie sont disparus sans laisser de trace dans ma mémoire ; envolées, toutes les formules scientifiques, — bien que je puisse, en partant des plus simples, reconstruire par voie déductive les plus compliquées ; évanouis, les noms de