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nien fait parade de ses sentiments moraux ; il ne parle pas de la messe, des cérémonies, il dira l’impression de majesté que lui produit le service religieux, la solennité des rites, de la haute signification des fêtes, etc. Aussi la classe instruite chez nous n’abandonne pas si facilement la foi que les Grands-Russiens ; le scepticisme ne pénètre dans nos âmes qu’après de longs et pénibles combats ; au contraire nous avons vu des jeunes gens grands-russiens élevés dès l’enfance dans les sentiments de la plus stricte piété, dans l’observation de toutes les règles de l’église et qui, à la première attaque ou aux premiers arguments un peu spirituels, rejettent la religion, oublient les enseignements de leur enfance et passent sans transition, sans combat, à la plus extrême négation et au matérialisme. Les Ukraniens sont un peuple profondément religieux au sens le plus large du mot ; à quelques circonstances que soit soumis l’Ukranien, quelque éducation qu’il reçoive, tant qu’il garde les marques distinctives de sa nationalité, il préserve ses sentiments religieux qui sont nécessaires à sa nature poétique. Sa poésie est religieuse et opposée à l’analyse. Il a dans l’âme la foi à la beauté, et la foi tue l’analyse, en faisant voir des tableaux qui plaisent à l’âme et la satisfont. L’essence du beau échappe à l’analyse, car nous n’en savons pas les principes généraux. On ne peut analyser les matériaux où il y a de la beauté, on peut démonter un instrument de musique dans ses parties et étudier à fond chacune de ces parties, on peut d’un autre côté analyser les lois de l’acoustique, la manière dont le son se communique à notre ouïe, mais on ne peut saisir et soumettre à l’analyse minutieuse les causes des sensations produites par les accords et la succession des sons. Les essais faits par les matérialistes pour arriver par l’analyse à l’essence des sensations produites sur l’âme artificiellement sont restés vains et ont seulement montré l’incapacité de sentir et de comprendre la beauté en ceux qui les faisaient.

Les Français, peuple profondément anti-poétique comme nous l’avons dit, avaient, au XVIIIe siècle déjà, proclamé une théorie de l’art fondée sur l’essence même de leur nature, celle de la simple imitation de la nature. Cette théorie convient parfaitement à l’âme du Grand-Russien, et de notre temps a été exprimée et en toute vérité par ceux qui osaient dire ce qu’ils ressentaient véritablement et elle a été partagée par beaucoup qui y voyaient le reflet de ce qui depuis longtemps était enseveli dans leur cœur.