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répandus si abondamment sur la vie historique du pays, s’ajoutent des traditions sur les âges les plus reculés de l’antiquité et à travers ce tissu coloré de l’imagination populaire, l’historien peut suivre le fil des annales non écrites de l’antiquité. La magie avec des menées effrayantes, le monde des esprits dans ses images variées, ses épouvantes qui font dresser les cheveux ou produisent un rire homérique. Tout cela se développe en récits bien combinés, en tableaux artistiques. Le peuple lui-même ne croit pas trop en la réalité de ce qu’il raconte, mais il n’abandonnera pas ces contes, tant que le sentiment du beau ne s’éteindra pas en lui ou tant que de nouvelles formes n’auront pas renouvelé l’ancien fond.

Il en est tout autrement en Grande-Russie. Là, comme nous l’avons dit, il n’y a que des préjugés. Le Grand Russien croit aux diables, aux lutins, aux sorcières, parce qu’il a reçu cette croyance de ses ancêtres, il y croit parce qu’il ne doute pas de leur réalité, comme il croirait aux phénomènes électriques ou célestes, il croit parce que la foi est nécessaire pour expliquer des faits incompréhensibles, mais pas pour satisfaire le désir de s’élever au-dessus de la fade vie matérielle dans la sphère de la création libre. En général, il y a chez lui peu de récits fantastiques. Les diables, les domovoïs (esprits familiers) sont matériels ; la sphère de l’autre vie, du monde spirituel l’intéresse peu et il n’a presque pas d’histoires d’âme revenant après la mort ; et quand on en trouve une, elle est généralement empruntée aux livres, c’est un arrangement ecclésiastique, elle ne vient pas d’une source populaire.

Mais par contre le Grand-Russien est, par son esprit d’intolérance, beaucoup plus opiniâtre dans ses préjugés. J’ai vu un fait très caractéristique, un monsieur accusé d’athéisme, de profanation, parce qu’il avait parlé dédaigneusement de la croyance aux démons.

Dans les milieux où l’amour des livres commence à se répandre, nous pouvons remarquer le genre de livres que réclame le Grand-Russien et ce qui l’intéresse surtout dans ces livres. Autant que j’ai pu l’observer, ce sont ou bien des livres sérieux, mais seulement ceux qui se rapportent directement aux occupations du lecteur ou qui pourront lui être utiles sous peu, ou bien des livres légers, amusants, servant à une distraction momentanée sans recherche d’idée ; on lit les poètes pour passe-temps (mais ce