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conséquent de l’élever au-dessus de toute critique humaine. Dans les mêmes éléments de la vie publique, les premiers s’attachaient l’âme, les autres le corps ; en politique les premiers étaient capables de former des compagnies volontaires liées tant qu’il y avait absolue nécessité, et durables tant que leur existence ne menaçait pas le droit imprescriptible de la liberté individuelle : les autres tendaient à former un corps politique solide, avec des principes séculaires, pénétré d’un même esprit. Le premier peuple tendait à la fédération, qu’il n’a pas su réaliser complètement, l’autre à l’autorité unique et à un État centraliste puissant.

Le premier s’est fréquemment montré incapable de fonder un État unitaire. Dans l’antiquité cette nationalité était prééminente en Russie et quand le moment inévitable arriva où il fallait ou périr ou se centraliser, elle dut malgré elle disparaître de la scène et laisser la place à l’autre.

Dans l’élément grand-russien il y a quelque chose d’énorme, de créateur, l’esprit d’organisation, le sentiment de l’unité, la domination de l’esprit pratique qui sait résister dans les circonstances difficiles, saisir l’instant où il faut agir et en profiter autant qu’il le faut. C’est ce que le peuple ukranien n’a pas montré. Son amour de la liberté individuelle conduisit ou à la décadence des liens publics, ou à un tourbillon qui écrasa la vie historique du peuple. Tel est le parallèle que nous pouvons faire de nos deux nationalités.


VIII

Dans ses efforts pour créer un corps solide, sensible pour les idées une fois adoptées, le peuple grand-russien a toujours montré et montre encore une inclination vers le côté matériel de la vie, mais il est inférieur au peuple ukranien dans le côté spirituel de la vie, dans la poésie qui, chez le dernier s’est développé incomparablement, plus largement, plus vivement et plus pleinement. Écoutez les chansons, regardez les images créées par l’imagination de l’un et de l’autre peuple ; parcourez les productions de la langue populaire de ces deux peuples. Je ne dirai pas que les chansons grandes-russiennes soient dépourvues de poésie, au contraire, on y voit une haute poésie, mais elle prend sa source dans la force de la volonté, la sphère de l’activité, bref, ce