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beauté, et, disons le mot, témoignent d’une bonté qui appartiennent à l’humanité tout entière. Y fermer l’oreille sous prétexte que Wagner écrivit Une Capitulation, c’est bien mesquin. Ce que réalisent les musiciens de génie devrait seul compter, parce que c’est le fond d’eux-mêmes, leur idéal, le meilleur de leur âme, qu’on n’a pas le droit d’oublier.

Ce qu’on pourrait retenir avec quelque profit des objections de M. Saint-Saëns (mais la question est délicate, et il faut se garder de toute étroite injustice), c’est que nous ne voulons pas nous laisser envahir par l’idée et par l’expression « boches ». Ce terme doit figurer pour nous l’ensemble des défauts antipathiques de l’art allemand. Notez d’abord que je suis nettement contre le protectionnisme rigoureux. Je sais tout ce qu’a dû notre musique, de 1850 à 1890, à l’art des Mozart, Haydn, Beethoven et Schumann[1] — Et J.-S. Bach restera toujours le Père vénéré, l’aïeul aimé de toute notre musique moderne, — de presque toute la musique… Nous n’ignorons point, d’autre part, où conduit l’admiration de soi-même, orgueilleuse et stérile : voyez la musique allemande moderne ; elle pourrait bien mourir d’un isolement qui n’a rien de splendide ; et sa nourriture purement, pauvrement et platement traditionnelle l’a terriblement anémiée, malgré sa boursouflure. — Tout cela, nous en con- venons. Mais il y a les défauts « boches ». Et, puisque M. Saint-Saëns veut bien nous les signaler, il n’est peut être pas trop tard pour lui apprendre que nous les connaissions déjà, et qu’ils nous crevaient les yeux depuis assez longtemps. Dans ses Musiciens d’aujourd’hui, M. R. Rolland note avec beaucoup de justesse que notre art fut tributaire du langage sonore de l’Allemagne, et que Berlioz représente pour nous un modèle de liberté et de concision françaises. Quant à moi, s’il m’est permis de le rappeler, les lecteurs de la Gazette des Beaux-Arts savent peut-être, lors de la première de Parsifal à l’Opéra, combien je fus frappé du germanisme, des répétitions, de la lourdeur, des longueurs, du piétinement de bien des scènes de ce « Bühnenfestspiel ». Et qu’on ne s’illusionne pas : ces caractères existent même, à l’occasion, chez leurs grands classiques du XIXe siècle (Schumann, Schubert, Mendelssohn, et parfois Beethoven). J’avoue que le plan traditionnel du « premier morceau de symphonie », avec sa « reprise », et sa « réexposition » trop semblable à l’ « exposition », ne satis- font pas toujours nos oreilles françaises. Et je ne parle pas du « mécanisme » trop régulièrement « organisé » de ces développements, qui sentent l’usine industrielle lorsque le génie n’y souffle point. Et ces « appoggiatures » si souvent mièvres, et cette emphase, et cette sensiblerie dans la sensibilité (lorsque la profondeur n’est pas réelle), et cet amour de la force qui dégénère en une fâcheuse tendance au « colossal » !

Il est certain d’ailleurs que notre art de mesure, d’initiative, de spontanéité, d’originalité, d’intuition aux mille trouvailles nouvelles ne s’oppose nullement aux vastes projets, aux amples réalisations. Mais les qualités françaises et les défauts allemands, nous n’avons pas attendu la guerre pour les apercevoir. Nous les pressentions, d’une part, chez Berlioz, Gounod et Bizet ; de l’autre, en Wagner, Brahms et Richard Strauss. Tout cela devint clair comme le jour

  1. Pour l’écriture, pour la notion du développement symphonique, et pour l’expression d’une large sensibilité humaine.