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ROSA BONHEUR

M. Arbuckle provoqua l’apparition, derrière un guichet, d’une femme en coiffe blanche, qui, d’un ton un peu brusque, nous déclara que mademoiselle était à Nice. Nous lui exposâmes néanmoins l’objet de notre visite, qui était de savoir si Mlle Rosa Bonheur avait reçu d’Amérique un cheval sauvage, et ceci la rendit plus gracieuse.

— Des chevaux d’Amérique, ce n’est pas un, mais trois que nous avons reçus d’un seul coup, et si vous désirez les voir, je puis vous les montrer.

Fort intrigués, nous suivîmes la femme, qui nous fit traverser une rue du hameau et bientôt nous introduisit dans un enclos partagé en jardin potager et en prairie.

— C’est ici que mademoiselle garde ses chevaux, fit-elle. Vous y trouverez sans doute celui que vous cherchez.

Il y avait là, en effet, trois superbes bêtes, qui dressèrent la tête avec un peu de défiance en nous apercevant.

— Le voici ! s’écria aussitôt M. Arbuckle d’une voix joveuse. Je le reconnais très bien. Voyez la marque P. O. qu’il porte sur la croupe ! Combien je suis heureux de le trouver en si bon état !

— A-t-il pu servir de modèle ? demandai-je.

— De modèle ! se récria la brave femme. Les deux autres, oui, mais celui-ci, jamais. Ce fut impossible : et cependant nous nous entendons assez bien à apprivoiser les caractères les plus rebelles. Voyez plutôt.

Elle nous mena vers une cage, derrière les barreaux de laquelle s’apercevaient des yeux étincelants.

— Voici la favorite de mademoiselle.

La favorite de mademoiselle était une jeune lionne, dont le regard se fixait avec obstination sur les deux visiteurs inconnus.

Tandis que nous regardions avec un peu d’étonnement, notre guide fit glisser le verrou, ouvrit la porte et se mit à caresser le fauve, qui la laissa taire avec la complaisance d’un gros chien.

— Vous voyez qu’il n’y a rien à craindre avec Fathma ; chaque matin, nous nous promenons ensemble dans le parc, comme de bonnes amies que nous sommes. Et si vous le voulez, nous allons recommencer avec vous ?

Déjà la lionne, qui semblait comprendre les propos de sa gardienne, se préparait à sauter sur le pavé de la remise. Je jettai un coup d’oeil vers M. Arbuckle : il paraissait mal à l’aise, et j’avoue que pour mon compte je me sentais médiocrement rassurée. Nous nous défendîmes bien vite de vouloir causer à la femme un surcroît de dérangement, et,