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ROSA BONHEUR

de constater que la race de chevaux dont cette toile, mille fois répétée par la gravure, semble être la glorification, a participé d’une certaine manière à la célébrité du tableau.

Les éleveurs américains, auxquels Rosa Bonheur avait permis d’admirer la taille, la noblesse de formes et la vigueur des chevaux percherons, se montrèrent de plus en plus avides de ces superbes animaux, et, chose singulière, dans les transactions qui en résultèrent, le nom de la grande artiste française n’a pas cessé dès lors d’apparaître un peu comme celui d’une bonne fée. Il n’en saurait être donné meilleur témoignage que celui du Stud-Book publié, en 1885 pour la première fois, par la Société Hippique percheronne, alors tout récemment fondée à Nogent-le-Rotrou (1883), dans le but de conserver les caractères de la race et de lutter contre la concurrence des éleveurs boulonnais. Son frontispice n’est autre chose que la reproduction d’un dessin de Rosa Bonheur, fait à la demande des administrateurs de la Société et du sous-préfet de Nogent. L’on avait eu grand soin, même, de joindre à ce dessin le fac-similé d’une lettre de l’artiste, disant sa joie de pouvoir associer ainsi son effort à ceux que l’on tentait pour garder aux chevaux du Perche des qualités universellement appréciées. Et ceci ne manqua pas d’être fort remarqué en Amérique ; les directeurs de la Société ne le laissèrent point ignorer à Rosa Bonheur. Une correspondance s’ensuivit, dont les chevaux percherons furent naturellement le prétexte, mais au cours de laquelle la grande animalière ne tarda pas à manifester à quel point sa curiosité d’artiste et d’amie des bêtes était excitée par ce que romanciers et voyageurs lui avaient appris des chevaux sauvages de la Prairie américaine. Combien elle serait aise de posséder, devant son chevalet, des modèles de cette espèce ! De là à l’ambition de s’en procurer, il n’y avait qu’un pas.

Le souhait de Rosa Bonheur, bientôt connu outre Atlantique, trouva dans M. John Arbuckle, président de la Compagnie post-percheronne du Wyoming, l’homme le mieux disposé à le satisfaire. À quelque temps de là, un jeune étalon sauvage s’étant justement introduit dans l’enclos de son haras, il lui fit donner la chasse ; mais l’animal était ardent et vite : il ne fallut pas moins de quatre jours pour le capturer au lasso et neuf cow-boys pour le maîtriser et le mettre en wagon.

Comme de raison, M. Arbuckle s’attendait à recevoir, dans les délais indispensables, les remerciements que Rosa Bonheur ne pouvait manquer de lui adresser. Or, semaines et mois se passaient sans que la grande artiste lui donnât le moindre signe de vie : il ignorait même si