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le chien d’or

— Mes fourrageurs ont balayé net, répondit Varin, en reprenant son siège ; les balais de Besançon n’auraient pas fait mieux. Les champs sont nus comme une salle de bal. Votre Excellence et la marquise pourraient y venir danser ; pas une paille ne traînerait sous leurs pieds.

— Et puis, demanda D’Estèbe d’un air un peu moqueur, avez-vous opéré cette œuvre énorme sans lutte et sans combats ?

— Sans combats ? Pourquoi des combats ? Les habitants ne résistent jamais quand nous leur parlons au nom du roi. Au nom du roi, nous chassons les démons ! Quand nous écorchons les anguilles, nous commençons par la queue. Si nous allions faire cela, les habitants seraient comme les Anguilles de Melun : ils crieraient avant d’avoir du mal. Non, non, d’Estèbe ! nous sommes plus polis que cela, à Ville Marie. Nous leur disons que les troupes du roi ont besoin de blé. Ils ôtent leurs bonnets et, les yeux pleins de larmes, ils vous répondent : M. le commissaire, le roi peut prendre tout ce que nous possédons et nous prendre nous aussi, s’il veut seulement empêcher les Bostonnais de s’emparer du Canada. C’est mieux, D’Estèbe, que de voler le miel et tuer ensuite les abeilles qui l’ont produit.

— Mais, Varin, que sont devenues les familles que vos pourvoyeurs ont ainsi dépouillées ? demanda le seigneur De Beauce, un gentilhomme campagnard dont toutes les idées généreuses n’étaient pas encore noyées dans le vin.

— Ces familles ! — c’est-à-dire les femmes et les enfants, car nous avons enrôlé les hommes, répliqua Varin, d’un ton moqueur, en se croisant les pouces comme un paysan du Languedoc qui veut se faire croire, — ces familles, De Beauce, font comme les gentilshommes de la Beauce en temps de disette ; elles bâillent pour leur déjeuner, ou elles avalent du vent, comme les gens du Poitou ; cela les fait cracher clair.