Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Annie un mot plus doux que l’ordinaire. « C’est la perversité du sexe », que je me disais en moi-même, et je relevais mon képi un peu plus en casseur et je redressais le torse — j’avais un torse de tambour-major de ce temps-là — et je m’éloignais comme si je m’en moquais, sous les rires de toutes les femmes du quartier des ménages. J’étais persuadé — comme la plupart des gamins, je pense — que je n’avais qu’à lever mon petit doigt pour voir toutes les femmes tomber à mes pieds. J’avais des raisons de le croire… jusqu’au jour où je rencontrai Annie Bragin.

« Il arriva plusieurs fois, quand je trôlais dans le noir, qu’un homme passa à côté de moi sans faire plus de bruit qu’un chat. « C’est bizarre, que je me dis, car je suis, ou devrais être, le seul homme de ces côtés. À quelle diablerie peut bien se livrer Annie ? » Puis je me traite de scélérat pour penser de telles choses ; mais je les pensais tout de même. Et cela, notez bien, c’est le propre de l’homme.

« Un soir je demande à Annie :

« — Madame Bragin, soit dit sans vous offenser, qui est ce caporal (je n’avais pu distinguer sa figure, mais j’avais vu les galons), qui est donc ce caporal qui arrive toujours quand je m’en vais ?