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en pleurs. Elle craignait que l’inondation n’eût emporté ma cabane du gué de la Bahrwi. Quand j’arrivai sans bruit, dans l’eau jusqu’aux chevilles, Elle crut voir un fantôme, et Elle s’apprêtait à fuir, mais je La pris dans mes bras, et… j’ai beau être un vieillard à cette heure, je n’étais pas un fantôme dans ce temps-là. Ho ! ho ! Blé desséché, en vérité. Mais sans suc. Ho ! ho ![1]

Je Lui racontai l’histoire de la rupture du pont de la Bahrwi, et Elle me dit que j’étais le plus grand de tous les mortels, car personne ne peut traverser la Bahrwi en pleine crue, et j’avais vu ce que jamais personne n’avait encore vu. La main dans la main nous allâmes au tertre où gisait le mort, et je Lui montrai par quel secours j’avais fait la traversée. Elle regarda aussi le cadavre à la lueur des étoiles, car la fin de la nuit était limpide, et Elle se cacha le visage entre ses mains, en s’écriant :

— C’est le cadavre d’Hirnam Singh !

Je Lui dis :

— Le cochon est plus utile mort que vivant, ma bien-aimée.

Et Elle me dit :

— Certes, puisqu’il a sauvé la vie la plus pré-

  1. J’ai le regret de dire qu’en cet endroit le préposé au gué de la Bahrwi s’est rendu coupable de deux très mauvais jeux de mots en dialecte indigène. (Note de l’auteur.)