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Or, sahib, la nature de la Bahrwi est telle. En l’espace de vingt respirations elle descend des montagnes sous la forme d’un mur de trois pieds de haut, et je l’ai vue, entre le moment d’allumer le feu et celui où le chupatty est cuit, devenir, de ruisseau, une sœur de la Jumna.

Quand je quittai cette rive-ci il y avait un banc de sable à un demi-mille en aval, et je fis diligence pour l’atteindre afin d’y reprendre haleine avant de continuer, car je me sentais talonné de près par la rivière. Mais que ne ferait pas un homme jeune pour l’amour de sa belle ? Les étoiles ne versaient qu’une faible clarté, et à mi-chemin du banc de sable une branche de déodar[1] puant me frôla la bouche tandis que je nageais. C’était un signe de forte pluie dans le bas des montagnes, et au delà, car le déodar est un arbre robuste, qui ne s’arrache pas facilement des pentes. Je me hâtai, aidé par la rivière, mais je n’avais pas encore atteint le banc, que le pouls du fleuve battit, pour ainsi dire, en moi et alentour ; le banc de sable disparut et je me vis soulevé en l’air sur la crête d’une vague qui s’étendait d’une rive à l’autre. Est-ce que le sahib s’est jamais trouvé pris dans une masse d’eau furieuse qui l’empêchait de se servir de ses membres ? Pour moi, avec ma

  1. Cèdre de l’Himalaya.