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personne ne savait… personne si ce n’est Elle et moi ; et le sable de rivière soulevé par le vent effaçait la trace de mes pas. Durant les mois chauds, c’était chose aisée que de faire le trajet du gué jusqu’à Pateera, et au début des pluies, quand la rivière montait lentement, c’était encore chose aisée. J’opposais la force de mon corps à la force du fleuve, et nuitamment je mangeais ici dans ma cabane et buvais là-bas à Pateera. Elle m’avait dit qu’un certain Hirnam Singh, un voleur, l’avait recherchée, et qu’il était d’un village en amont de la rivière, mais sur la même rive. Tous les Sikhs sont des chiens, et ils ont refusé dans leur folie ce précieux don de Dieu, le tabac. J’étais prêt à démolir Hirnam Singh si jamais il était venu auprès d’elle ; et cela d’autant plus qu’il lui avait juré qu’elle avait un amant, et qu’il ferait le guet pour le dénoncer au chef si elle ne consentait pas à s’enfuir avec lui, Hirnam Singh. Quels infâmes, ces Sikhs !

Quand j’eus appris cela, je nageai toujours par la suite avec un petit couteau affilé dans ma ceinture, et il n’eût pas fait bon à quelqu’un de m’arrêter. Je ne connaissais pas les traits de Hirnam Singh, mais j’aurais tué quiconque se fût interposé entre moi et Elle.

Une nuit, au début des pluies, l’idée me vint de passer à Pateera, bien que la rivière fût en colère.