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elle n’avait pas grand’chose à faire, et elle aimait beaucoup les chiens. Ainsi donc elle me demande si j’accepterais de boire quelque chose. Et nous entrons dans un bar où son mari était installé. Ils firent beaucoup de chichis autour du chien et le mari me paya une bouteille de bière et me donna une poignée de cigares. Mais comme je sortais, la bourgeoise me crie :

— Oh ! monsieur le militaire, vous reviendrez encore, n’est-ce pas, et vous amènerez ce joli chien.

Je ne parlai pas de Mme de Souza à la dame du colonel, et quant à Rip, il ne dit rien non plus. Je continue donc de sortir avec lui, et c’était à chaque fois un bon coup à boire et une poignée de bons mégots. Et j’en racontais à la bourgeoise, concernant Rip, beaucoup plus que je n’en savais : d’après moi, il avait obtenu le premier prix à l’exposition canine de Londres, et on l’avait payé trente-trois livres cinq shillings à l’homme qui l’avait élevé ; son propre frère appartenait au prince de Galles, et son pedigree n’était pas moins long que celui d’un duc. Et la bourgeoise avalait tout ça et ne se lassait pas de l’admirer. Mais je ne commençai à deviner la vérité que le jour où elle devint tout à fait éprise du chien et se mit à me donner de l’argent. Il peut arriver à tout le monde de donner à un militaire de quoi se payer une pinte, en ma-