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mèche, s’enfuit loin de ma colère, car il craignait pour sa vie. Mais la femme ne broncha pas, et je me dressai devant elle, en criant :

— Ô femme, qu’as-tu fait ?

Et elle, dénuée de peur, bien qu’elle connût ma pensée, se mit à rire, et dit :

— Peu de chose. Je l’aimais, et toi, tu es un chien et un voleur de bétail qui vient dans la nuit. Frappe !

Et moi, encore aveuglé par son charme, car, ô mon ami, les femmes des Abazai sont très belles, je lui dis :

— Ne crains-tu donc rien ?

Et elle me répondit :

— Rien… ma seule crainte est de ne pas mourir.

Alors je dis :

— N’aie crainte.

Et elle courba sa tête, que je tranchai à l’articulation du cou, si bien qu’elle rebondit à mes pieds. Là-dessus la furie de notre peuple s’empara de moi, et je lacérai les seins, afin de ne pas laisser ignorer son crime aux hommes de Petit Malikand, et je jetai le cadavre dans le cours d’eau qui va rejoindre la rivière de Caboul. Dray wara yow dee ! dray wara yow dee ! Le cadavre sans tête, l’âme sans lumière, et mon propre cœur sombre… tous les trois ne font qu’un !… tous les trois ne font qu’un !