Page:Kipling - Le Second Livre de la jungle.djvu/289

Cette page a été validée par deux contributeurs.
280
le second livre de la jungle

émotions. Le reste du temps, il était au loin dans la jungle, à goûter, toucher, voir et sentir des choses toujours nouvelles.

Un soir, au crépuscule, il s’en allait, trottant sans hâte à travers les collines, porter au vieil Akela la moitié d’un chevreuil fraîchement tué, et ses quatre loups sur les talons, se chamaillant un peu et se culbutant par pure joie de vivre, lorsqu’il perçut un cri qu’il n’avait pas entendu depuis les mauvais jours de Shere Khan. C’était ce qu’on appelle dans la Jungle le Pheeal, une sorte de hurlement que pousse le chacal lorsqu’il chasse derrière un tigre ou lorsqu’il y a quelque riche curée sur pied. Imaginez un mélange de haine, de triomphe, de crainte et de désespoir, au travers duquel loucherait une sorte de discordance, vous aurez quelque idée du Pheeal, qui s’éleva, retomba, frémit et s’étrangla dans le lointain au delà de la Waingunga. Les Quatre aussitôt se hérissèrent en grondant. La main de Mowgli se porta à son couteau, et lui aussi s’arrêta comme si on l’eût changé en pierre.

— Pas un Rayé n’oserait tuer ici, dit-il enfin.

— Ce n’est pas le cri de l’Avant-Courrier, dit Frère Gris. Il s’agit d’une grosse curée. Écoute !