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comment vint la crainte

péré de terreur aiguë ; se rouler sur la berge sablonneuse, et revenir, museau humide, et ventre arrondi à la harde qui vous admire, — tout cela, pour les jeunes daims aux cornes luisantes, était un délice, justement parce qu’à chaque minute, ils le savaient, Bagheera ou Shere Khan pouvaient sauter sur eux et les terrasser. Mais maintenant, c’en était fini de ce jeu de vie et de mort, et le Peuple de la Jungle se traînait affamé, harassé, jusqu’à la rivière rétrécie, — tigre, ours, cerf, buffle, et sanglier ensemble — et tous, ayant bu à l’eau bourbeuse, laissaient pendre la tête au-dessus, trop exténués pour s’éloigner.

Le cerf et le sanglier avaient rodé tout le jour, en quête de quelque chose de meilleur que de l’écorce sèche et des feuilles flétries. Les buffles n’avaient trouvé ni fondrières pour s’y vautrer au frais, ni récoltes vertes à voler. Les serpents avaient quitté la Jungle pour descendre à la rivière dans l’espoir d’attraper quelque grenouille échouée ; ils se lovaient autour des pierres humides, et ne cherchaient pas à frapper si, par hasard, le groin d’un sanglier, en fouillant, venait à les déloger. Les tortues de rivière, depuis longtemps, avaient été tuées par Bagheera, roi des chasseurs, et les poissons