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les croque-morts

— Vous ne connaissez pas les Anglais comme moi, dit le Mugger. Il y avait ici, quand on construisit le pont, un visage blanc qui, le soir, prenait un bateau et trépignait sur les planches du fond, en chuchotant : « Est-il ici ? Est-il ici ? Apportez-moi mon fusil. » Je l’entendais avant de le voir… j’entendais chaque bruit qu’il faisait — craquements, souffles courts, heurts de son fusil, du haut en bas de la rivière. Dès que j’avais cueilli l’un de ses ouvriers, lui épargnant ainsi les grands frais de bois qu’aurait entraînés son incinération, j’étais sûr de le voir descendre au Ghaut et crier d’une voix retentissante qu’il me tuerait et débarrasserait la rivière de ma personne — le Mugger de Mugger Ghaut. Moi ! Mes enfants, je nageais sous son bateau des heures entières, je l’entendais tirer sur des souches, et quand j’étais bien sûr qu’il était fatigué, j’apparaissais le long de la barque et faisais claquer mes mâchoires à son nez. Lorsque le pont fut fini, il s’en alla. Tous les Anglais chassent de cette façon, sauf lorsque c’est eux qu’on chasse.

— Qui donc fait la chasse aux visages blancs ? jappa le Chacal très excité.

— Personne en ce moment, mais je leur ai fait la chasse en mon temps.