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la descente de la jungle

insulter un égal. Les franges des lèvres se retroussèrent en s’écartant ; la langue rouge se frisa ; la mâchoire inférieure descendit, descendit tant, qu’on put voir à mi-chemin de la gorge fumante ; et les formidables canines se découvrirent jusqu’au creux des gencives, avant de se refermer, celles du haut contre celles du bas, avec le bruit métallique de pênes d’acier rentrant dans leurs gâches sur les bords d’un coffre-fort. L’instant d’après, la rue était vide ; Bagheera, d’un bond, avait repassé par la fenêtre, et se tenait aux côtés de Mowgli, tandis qu’un torrent d’hommes vociférants, hurlants, se grimpaient sur le dos et se passaient sur le corps, dans leur panique et leur hâte à regagner chacun sa hutte.

— Ils ne bougeront plus jusqu’au lever du jour, dit tranquillement Bagheera. Et maintenant ?

Le silence de la sieste semblait avoir surpris le village ; mais, en écoutant, on pouvait entendre le bruit de lourds coffres à grain traînés sur la terre battue des maisons et qu’on poussait contre les portes. Bagheera avait dit vrai : le village ne bougerait plus jusqu’au jour. Mowgli restait assis, immobile, réfléchissant ; et son visage, par degrés, devenait de plus en plus sombre.