Page:Kipling - Le Livre de la jungle, illustré par de Becque.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.

retournée à ma jungle, ainsi tu dois à la fin retourner aux hommes, aux hommes qui sont tes frères — si tu n’es point d’abord tué au Conseil !

— Mais pourquoi, pourquoi quelqu’un désirerait-il me tuer ? répliqua Mowgli.

— Regarde-moi, dit Bagheera.

Et Mowgli le regarda fixement, entre les yeux. La grande panthère tourna la tête au bout d’une demi-minute.

Voilà pourquoi ! dit Bagheera, en croisant ses pattes sur les feuilles. Moi-même je ne peux te regarder entre les yeux, et pourtant je naquis parmi les hommes, et je t’aime, Petit Frère. Les autres, ils te haïssent parce que leurs yeux ne peuvent soutenir les tiens, parce que tu es sage, parce que tu as tiré de leurs pieds les épines — parce que tu es un homme.

— Je ne savais pas ces choses, dit Mowgli d’un ton boudeur.

Et il fronça ses lourds sourcils noirs.

— Qu’est-ce que la Loi de la Jungle ? Frappe d’abord, puis donne de la voix. À ton insouciance même ils voient que tu es un homme. Mais sois prudent. J’ai au cœur une certitude : la première fois que le vieil Akela manquera sa proie — et chaque jour il a plus de peine à agrafer son chevreuil — le Clan se tournera contre lui et contre toi. Ils tiendront une assemblée sur le Rocher, et alors — et alors — J’y suis ! dit Bagheera en se levant d’un bond. Descends vite aux huttes des hommes dans la vallée, et prends-y un peu de la Fleur Rouge qu’ils y font pousser ; ainsi, le moment venu, auras-tu un allié plus fort même