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— Nous sommes très malheureux, dit Darzee. Un de nos bébés, hier, est tombé du nid, et Nag l’a mangé.

— Hum ! dit Rikki-tikki, voilà qui est fort triste… Mais je suis étranger ici. Qui est-ce, Nag ?

Darzee et sa femme, pour toute réponse, se blottirent dans leur nid, car, de l’épaisseur de l’herbe, au pied du buisson, sortit un sifflement sourd… un horrible son glacé… qui fit sauter Rikki-tikki de deux pieds en arrière. Alors, pouce par pouce, s’éleva de l’herbe la tête au capuchon éployé de Nag, le gros cobra noir, qui comptait bien cinq pieds de long de la langue à la queue. Lorsqu’il eut soulevé un tiers de son corps au-dessus du sol, il resta à se balancer de droite et de gauche, exactement comme se balance dans le vent une touffe de pissenlit et dévisagea Rikki-tikki de ses mauvais yeux de serpent, qui ne changent jamais d’expression, quelle que soit sa pensée.

— Qui est-ce, Nag ? dit-il. C’est moi, Nag. Le grand Dieu Brahma mit sa marque sur tout notre peuple quand le premier cobra eut étendu son capuchon pour préserver Brahma dormant au soleil. Regarde, et tremble !

Il étendit davantage son capuchon, et Rikki-tikki vit sur son dos la marque des lunettes, qui ressemble plus exactement à la « porte » d’une agrafe-et-porte.

Il eut peur une minute : mais il est impossible à une mangouste d’avoir peur plus longtemps, et, bien que Rikki-tikki n’eût jamais encore rencontré de cobra vivant, sa mère l’avait nourri de cobras morts, et il savait bien que la grande affaire de la vie d’une mangouste adulte est de faire la guerre aux serpents et de les manger. Nag le savait