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— Pas mal pour un petit de l’an, dit le lion de mer, qui était à même d’apprécier un bon nageur. Je suppose qu’à votre point de vue c’est en effet assez vilain ; mais, vous autres, phoques, comme vous persistez à venir ici d’année en année, les hommes arrivent naturellement à le savoir, et si vous ne pouvez pas trouver une île où les hommes ne viennent jamais, vous serez toujours rabattus.

— N’y a-t-il pas d’île pareille ? commença Kotick.

— J’ai suivi le poltoos (le flétan) pendant vingt années et je ne peux pas dire que je l’ai trouvée encore. Mais, écoute… tu sembles prendre plaisir à causer avec tes supérieurs… pourquoi ne vas-tu pas à Walrus Islet parler à Sea Vitch ? Il sait peut-être quelque chose. Ne te presse pas comme cela. C’est une traversée de six milles, et à ta place je me mettrais à sec et ferais un somme auparavant.

Kotick jugea l’avis bon ; aussi, de retour à sa propre grève, se mit-il à sec et dormit-il une demi-heure, avec des frissons tout le long du corps à la manière des phoques. Puis il mit le cap sur Walrus Islet, petit plateau bas d’île rocheuse, presque en plein norois de Novastoshnah, tout en langues de rochers et en nids de mouettes, où les morses vivaient entre eux. Il prit terre près du vieux Sea Vitch, le gros vilain morse bouffi et dartreux, du Nord Pacifique, au col épais et aux longues défenses, qui n’a de bonnes manières que lorsqu’il dort — comme il faisait en ce moment — ses nageoires de derrière baignant à moitié dans l’écume.

— Éveille-toi ! aboya Kotick, car les mouettes menaient grand bruit.