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contes choisis

demi-heure de besogne pour critiquer — c’est-à-dire pour louer — le poème de façon à contenter Charlie. Or, j’avais de bonnes raisons pour gémir, car Charlie, délaissant son mètre favori, genre mille pattes, s’était lancé en vers plus courts et plus hachés, et, qui plus est, en vers à sujet motivé. Voici ce que je lus :

« Le jour est charmant, le vent joyeux
Nous hèle derrière la colline,
Et courbe le bois selon ses vœux
Et le jeune sapin qui s’incline !
Joue, ô vent ! Mon sang roule des choses
Qui ne veulent point que tu reposes !

Elle s’est donnée, ô Terre ! ô Cieux !
Mer grise, elle est mienne tout entière,
Écoutez ma voix, rocs soucieux,
Et frémissez dans vos flancs de pierre !

Mienne ! Conquise ! Bonne terre, écoute,
Sois heureuse, voici le printemps ;
Mon amour lui seul vaut deux fois toute
L’adoration qu’on doit à tes champs.
Le rustre qui te fouille sent en route
Germer mon bonheur qu’il jette en semant ! »