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la plus belle histoire du monde

l’unique voile, quand l’éperon de la galère entaillait le centre du disque à demi sombré, et :

— Nous mettions le cap là-dessus, car nous n’avions pas d’autre guide, dit Charlie.

Il parla d’une île où on avait atterri, et d’explorations dans les bois de cette île, où l’équipage tua trois hommes qu’ils trouvèrent endormis sous les pins. Leurs esprits, dit Charlie, suivirent la galère, nageant et suffoquant dans l’eau, et l’équipage tira au sort et jeta un des siens par-dessus bord, en sacrifice aux dieux étrangers qu’ils avaient offensés. Puis ils mangèrent du goémon lorsque les vivres manquèrent, et leurs jambes enflèrent, et leur chef, l’homme roux, tua deux rameurs qui s’étaient mutinés ; et, après avoir passé une année dans les bois, ils mirent à la voile pour leur pays, et un vent toujours favorable les ramena si sûrement qu’ils dormaient tous la nuit. Voilà ce que me dit Charlie, et bien des choses encore. Parfois sa voix baissait tellement que je ne pouvais saisir les paroles, malgré la tension de tous mes