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la plus belle histoire du monde

l’avait décrite. Mais ceci était un plongeon dans le passé bien autrement surprenant. Se pouvait-il que, sautant par-dessus une douzaine d’existences, il se rappelât obscurément à cette heure quelque épisode de mille ans plus tard ? Confusion affolante, et que Charlie Mears, dans son état normal, était la dernière personne du monde capable d’éclaircir. Il ne me restait qu’à veiller et attendre, mais je me couchai cette nuit-là, la tête pleine des plus effrénées imaginations. Rien qui ne fût possible si la détestable mémoire de Charlie pouvait seulement tenir bon.

Je pouvais récrire la Saga de Thorfin Karlsefne, telle qu’on ne l’avait jamais écrite auparavant ; je pouvais raconter la première découverte de l’Amérique, et l’auteur, c’eût été moi-même. Mais je demeurais entièrement à la merci de Charlie et aussi longtemps qu’il aurait à portée de la main un volume de Bohn à trois shillings six, Charlie ne parlerait pas. Je n’osais pas le maudire ouvertement ; j’osais à peine brusquer sa mémoire, car j’avais affaire à des aventures