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l’homme qui voulut être roi

Il faisait froid — terriblement froid. J’ai encore ce froid-là dans la nuque à cette heure. Il y en a un morceau, toujours, là.

Les coolies du pankah s’étaient endormis. Deux lampes à pétrole flamboyaient dans le bureau, la sueur ruisselait de mon visage et s’écrasait en grosses gouttes sur le buvard comme je me penchais en avant. Carnehan grelottait. J’eus peur que sa raison ne fléchît. Je m’épongeai le front, étreignis de nouveau ses mains pitoyables et mutilées, et dis :

— Qu’arriva-t-il après cela ?

Mes yeux détournés un instant, cela avait suffi pour rompre le courant lucide.

— S’il vous plaît ? gémit Carnehan. Ils les prirent sans faire de bruit. Pas un petit murmure sur toute l’étendue de neige, rien, malgré que le roi culbutât le premier qui lui mit la main dessus, ni quoique le vieux Peachey fit feu de sa dernière cartouche dans le tas. Pas le moindre petit bruit, les cochons ! Ils se refer-