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contes choisis

venir. » On courut donc, en rond, en cercle et en travers, et tout ce qu’on y gagna ce fut de se faire canarder la nuit sous les tentes, d’emporter des sungars[1] vides la broche au bout du canon, et d’attraper des coups tirés de derrière les rochers, si bien qu’à la fin personne n’en pouvait plus — personne, sauf Amour-des-femmes. Ce métier de chien fouetté, pour lui, c’était manger et boire. Vingt dieux, il n’en avait jamais assez ! Moi qui savais bien que ce sont justement ces campagnes abrutissantes qui vous tuent vos meilleurs troupiers, et soupçonnant que, si je claquais, le gosse perdrait tous ses hommes en tâchant de sortir de là, je me couchais bien tranquille ; quand j’entendais un coup de fusil, je ramassais mes longues jambes derrière un caillou et détalais comme un zèbre en terrain découvert. Par Dieu, si j’ai conduit une fois le Tyrone en retraite, je l’ai conduit quarante ; Amour-des-femmes, lui, restait à tirer et tirailler derrière un rocher, attendant

  1. Enceinte palissadée.