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contes choisis

me supplia de lui dire la vérité quant aux chances qu’il pouvait avoir, « d’écrire quelque chose de vraiment bien, vous savez ». Peut-être l’avais-je trop encouragé, car, une nuit, il arriva, les yeux flambants d’exaltation et tout hors d’haleine :

— Est-ce que cela vous gêne… est-ce qu’il vous est possible de me laisser ici écrire toute la soirée ? Je ne vous dérangerai pas, non, vrai. Je n’ai pas de place pour écrire chez ma mère.

— Qu’y a-t-il ? dis-je, sachant bien de quoi il retournait.

— J’ai en tête une idée qui ferait l’histoire la plus admirable qu’on ait jamais écrite. Je vous en prie, laissez-moi la mettre sur le papier ici. C’est une idée… On ne peut pas se douter.

Il n’y avait pas à résister. Je lui installai une table ; il me remercia à peine et se rua de suite au travail. Pendant une demi-heure, la plume gratta sans arrêt. Puis Charlie soupira et se tira les cheveux. Le grattement se ralentit, les ratures se multiplièrent et, à la fin, il cessa. La plus belle histoire du monde ne voulait pas sortir.