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contes choisis

de musc descendait sur le navire et nous faisait tousser.

Enfin, la lutte suprême s’acheva en un tourbillon de lames versicolores. Nous vîmes le cou se tordre, tomber comme un fléau, la carcasse chavirer sur le flanc, en montrant le reflet d’un ventre blanc et le joint d’une patte ou nageoire gigantesque. Puis, tout sombra, et la mer bouillonna par-dessus, tandis que la femelle nageait en rond, sans cesse, la tête dardée dans toutes les directions. Bien qu’il y eût à craindre qu’elle attaquât le steamer, nulle puissance terrestre n’eût arraché aucun de nous de sa place à cette minute-là. Figés, nous regardions, en retenant notre souffle. La femelle suspendit ses recherches ; nous pouvions entendre le clapotis des vagues contre ses flancs ; elle leva le cou aussi haut qu’elle pouvait atteindre, aveugle et abandonnée dans tout cet abandon de la mer, et poussa un mugissement désespéré qui se répercuta sonore le long des houles comme une coquille d’huître ricoche sur une mare. Puis elle s’éloi-