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un fait

Puis la véritable agonie commença : crampes, torsions, soubresauts de l’énorme masse blanche, tant que notre petit steamer en roulait et tanguait, la coque, à chaque lame grisâtre, revêtue d’une couche de limon gris. Le soleil était clair, il n’y avait pas de vent et tous, l’équipage entier, chauffeurs compris, nous regardions avec émerveillement et pitié, mais pitié plus encore. La Chose était si impuissante, et, à sa compagne près, si abandonnée. Aucun œil humain n’aurait dû la contempler : il était monstrueux et profanatoire de l’exhiber là, dans les eaux du commerce international, entre des degrés de latitude marqués sur un Atlas. L’Être avait été vomi, mutilé et mourant, du lieu de son repos sur le sol des mers, de la place où il aurait pu vivre jusqu’au Jugement Dernier, et nous regardions le flux de sa vie s’en aller de lui comme un jusant rageur s’en va parmi des rochers, souffleté par le vent du large. Sa compagne restait à se bercer sur l’eau, quelques encâblures plus loin, mugissant toujours, et l’odeur lourde