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Cap, sur le Gravelotte. Pambé partit pour l’Angleterre sur le Worth. Celui-ci croisa le Spicheren par le travers du phare de Nore. Nurkîd était sur le Spicheren qui s’en allait à la côte de Calicut.

— Tu veux retrouver un ami, mon brave chocolat ? dit à Pambé un gentleman de la marine marchande. Rien de plus simple. Va aux bassins Nyanza et attends qu’il y vienne. Tout le monde va aux bassins Nyanza. Attends-y donc, pauvre païen.

Le gentleman disait vrai. Il y a dans le monde trois grandes portes, où si l’on attend longtemps assez, on finit par rencontrer tous ceux que l’on désire. L’entrée du canal de Suez en est une, mais là, la mort y vient aussi ; la gare de Charing Cross en est une autre — pour le service intérieur ; et les bassins Nyanza sont la troisième. En chacun de ces lieux il y a des hommes et des femmes qui attendent indéfiniment ceux qui viendront sûrement. Ainsi Pambé attendit aux bassins. Le temps lui importait peu ; et ses femmes pouvaient attendre, comme il le faisait, de jour en jour, de semaine en semaine, auprès des cheminées au Diamant Bleu, ou au Point Rouge, ou aux Bandes Jaunes, et de tous les anonymes bohémiens de la mer qui chargeaient et déchargeaient, se frôlaient, sifflaient et meuglaient dans le brouillard sempiternel. Quand l’argent lui manqua, un bon gentleman conseilla à Pambé de se faire chrétien ; et Pambé le devint à grande vitesse : il recevait l’enseignement religieux entre deux arrivées de navire, et six ou sept shillings par semaine pour distribuer des brochures pieuses aux