Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/94

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et le planta dans la jambe de Pambé. Pambé à son tour dégaîne, mais Nurkîd se laissa tomber dans les ténèbres de la cale, d’où il cracha à travers le caillebotis sur Pambé, qui teignait de son sang la netteté du pont avant.

La blanche lune fut seule à voir ces choses ; car les officiers étaient en train de surveiller le charbonnage, et les passagers cherchaient en vain le sommeil dans leurs cabines étouffantes.

— Très bien, dit Pambé, nous réglerons ce compte plus tard.

Et il s’en alla au gaillard d’avant pour se bander la jambe.

C’était un Malais né dans l’Inde ; marié une fois à Burma, où sa femme tenait une boutique de cigares sur la route de Schwe-Dagon ; une fois à Singapour, à une jeune Chinoise ; et une fois à Madras, à une femme mahométane qui vendait des volailles. Le matelot anglais, lui, ne peut, vu les facilités des communications postales et télégraphiques, se marier aussi abondamment que Pambé n’avait l’habitude de le faire ; mais les matelots indigènes le peuvent, qui ne subissent pas l’influence des inventions barbares du sauvage Occident. Quand il lui arrivait de se rappeler l’existence d’une de ses femmes, Pambé était bon mari ; mais c’était aussi un très bon Malais ; et il n’est pas prudent d’offenser un Malais, parce qu’il n’oublie jamais rien. De plus, dans le cas de Pambé il y avait eu du sang versé et de la nourriture répandue.

Le matin venu Nurkîd se leva l’esprit vide. Ce