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devant. Il me dit que j’étais son père et sa mère et le descendant direct de tous les dieux de son panthéon, outre que je gouvernais les destinées de tout l’univers. Quant à lui il n’était qu’un marchand de bonbons, et beaucoup moins important que la poussière que je foulais à mes pieds. Comme ce genre de propos ne m’était pas inconnu, je lui demandai donc ce qu’il me voulait. Ma roupie, affirma Naboth, l’avait exalté aux cieux éternels, et il voulait proférer une requête. Il souhaitait établir son débit de bonbons auprès de la maison de son bienfaiteur, pour contempler mon visage vénéré tandis que j’allais çà et là illuminant le monde. Je fus heureux par politesse de lui accorder la permission, et il s’en alla la tête entre les genoux.

Or, à l’extrémité de mon jardin le terrain descend en pente vers la voie publique, et la pente est couronnée par un bosquet épais. Il y a de la maison au Mail une courte allée de voitures qui passe tout contre le bosquet. L’après-midi suivant je vis que Naboth s’était installé au bas de la pente, à terre dans la poussière de la voie publique, et à la pleine ardeur du soleil, avec devant lui une corbeille chichement garnie de bonbons sales. Il avait une fois de plus repris son trafic à l’aide de mon don généreux, et par mon honorable grâce ce sol lui était un paradis. Or rappelez-vous, il n’y avait là que Naboth avec sa corbeille au soleil et dans la poussière grise quand le premier coup de sape fut donné à mon empire.

Le lendemain il avait remonté sur la pente un