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et enfin le cheval pie peina dans le sable mou du gué de l’Indus. Tallantire ignora tout détail précis jusqu’au moment où la proue du bac paresseux atterrit à l’autre bord, et où son cheval fit un écart en hennissant devant la pierre blanche de la tombe d’Orde. Alors il se découvrit, et cria dans l’espoir que le mort pût l’entendre : « Ils sont de sortie, mon vieux ! Souhaite-moi bonne chance ! » Ce fut dans l’aube glacée qu’il tambourina du fer de son étrier à la porte du fort Ziar, où cinquante sabres des Belooch Beskhalis, ce régiment déguenillé, étaient censés sauvegarder les intérêts de Sa Majesté la Reine sur quelques centaines de kilomètres de frontière. Ce fort-là était commandé par un lieutenant, qui, né d’une ancienne famille des Deroulett, répondait naturellement au nom de Tommy Dodd. Tallantire le trouva emmitouflé d’une houppelande en peau de mouton, tremblant la fièvre comme une feuille, et s’efforçant de lire la liste des malades écrite par l’infirmier indigène.

— Vous voilà donc venu également, dit-il. Eh bien, ici nous sommes tous malades, et je ne pense pas pouvoir mettre à cheval trente hommes ; mais ce n’est fichtre pas la b… bonne volonté qui nous manque. Attendez, est-ce que ceci vous fait l’effet d’être un piège ou un mensonge ?

Il tendit à Tallantire un bout de papier sur lequel on avait écrit péniblement en maladroits caractères gurmukhis : « Nous ne pouvons retenir les jeunes chevaux. Ils iront la nuit prochaine après le coucher de la lune paître dans les quatre villages de la